Birthday happening aux Puces de Saint Ouen* et dédicaces en la ville du sieur de Repose-Pucelle**
Nous étions accosté à Saint Tropez entre Moonbeam et Partridge.
Assise, vaporeuse, dans un fauteuil canné de pont, Lady Taud tournait et retournait la photo de ces deux enfants plutôt diaboliques. Elle me la brandit sous le nez en lançant :
– Les méfaits de l’éducation globalisée, mal adaptée, comme si les individus étaient stéréotypés. Ce sont les ministres et leurs sinistres qui le sont avec leur obsession à vouloir formater les esprits.
– Mais que vous ont fait ces affreux enfants ?
– Ils ne sont pas affreux, ils ne comprennent pas pourquoi leur maitre les contraint à lire de gauche à droite alors que leurs yeux et leurs cerveaux interprètent et transmettent spontanément les caractères !
Bon là je sentais que la Divine prenait fait et cause pour l’un de ses (nombreux) combats récurrents. Je me fis attentif et coi auditeur.
– So what ?
– Donc, comme le dit Pline l’Ancien « Le peuple phénicien a l’insigne honneur d’avoir inventé les lettres de l’alphabet. » Mais pas le sens de la lecture ! Alors que l’écriture naquit 12 siècles avant JC, il a été convenu – une mesure bureaucratique prise à Athènes en 403/402 par Archinos – que les langues issues du grec s’écrivaient de gauche à droite alors que les langues sémitiques vont de droite à gauche et le Chinois d’avant l’ordinateur se lisait verticalement de droite à gauche.
J’étais couramment étonné jusqu’à quel point son attitude indolente masquait l’hyper activité qui elle-même générait l’insensibilité indifférente qui désarçonnait tant ses interlocuteurs. Ma pomme y compris. Mais le débat reprenait …
– Observez. Lorsqu’un enfant ne perçoit pas assez tôt et assez fort l’impératif « officiel » d’écrire et de lire de gauche à droite, il explore l’écriture en miroir de l’ambulance du rétroviseur ou bien rédige parfois en mode boustrophédon qui change alternativement le sens du tracé ligne après ligne, à la manière du bœuf marquant les sillons dans un champ. Leonardo, …
Elle m’observe, je fais la tête du gars à fond dans le sujet (même si je me sens quelque peu largué, j’ai rien révisé et c’est dans ces moments-là que je jugeais que ma part de féminité vécue à travers elle devenait aussi monocellulaire que la paramécie) ; j’affichais donc ma tronche de protozoaire, … Et lô !
Elle pose la photo sur la table. Et change de sujet, radicale.
– Hier, la soirée d’anniversaire de ce Voyage au Centre des Puces by Studyrama, fut très happening et réellement délirante. J’ai adoré les déguisements, les personnages qui surjouaient, extravagances et show-biz, rencontres et discours éphémères, cette fille qui racontait sa semaine de baise à Miami avec un inconnu, … (don’t look at me, baby, mentalisais-je) parmi tous les objets d’art, culturels et contre culturels,
– Anti culturels, para culturels, péri culturels, … hasardé-je
– Je constate que les flots d’excellent champagne vous titillent le cerveau, amigo !
Elle sourit gentiment, je m’effondre liquéfié dans les bulles.
– OK dear Lady, nous sommes attendus pour un diner au yacht club il me semble ?
– En effet, je me souviens de celui, excellent, dégusté dans ce yacht club breton la semaine dernière. Quel était le nom de la ville… ? Apéro Direct, c’est cela ?
– Au risque tentateur de faire l’érudit, il s’agissait de Perros Guirec, Lady. Dont le nom est l’association de « Penn » (tête, cap,), de « roz » (colline allant à la mer) et de « Guirec » (Gireg en breton), du nom du saint Guirec, le moine venu de sa Celtitude pour évangéliser les Bretons.
Elle abaisse ses sunglasses sur son nez cléopâtrien, m’observe un moment :
– Ça y est, c’est bon, merci. Où se déroule celui-ci ?
Je suis mal payé pour savoir qu’elle n’apprécie guère le savoir même minuscule chez les autres. Mais, bon chien, je suis content, pour un peu je remuais la queue, … je réplique illico :
– Dans le yacht club d’un grand port atlantique, entre deux régates !
Le nouveau capitaine de la Lady’s goélette, entendant le mot régate, avait bondi, prêt à en découdre.
– Calme, mon ami, prononcer le mot régate ne veut pas dire régater. Notre beau schooner tient à vivre encore longtemps.
– Bien sur, Madame, répondit l’autre qui me gonflait avec son sourire Capitaine Troy, Capitaine Distroy !
L’autre fait son technicien spécialiste, sais pas trop ce qui lui prend, mais il part en vrille :
– Vous savez, Madame, les plus belles régates classiques se courent en méditerranée parce que même dans la brise vous naviguez en polo et pantalons repassés. Du coup, tout fait chic et beau, le yacht et les équipages.
Les plus acharnées ont lieu en Atlantique et en Manche parce qu’il faut souvent en avoir pour se dire je vais aller me faire tremper.
– En avoir, … quoi ? rétorque la Perfide.
L’autre pivoine jusqu’aux temps. Il lui manque la tige et les feuilles pour le coller dans un vase. Ça c’est moi qui commente secret. Supporte pô l’Adonis vélique.
– … du courage.
– Vous avez spontanément pensé courage ou à autre chose ?
Son empourprement gagne ses vêtements, il danse d’un pied sur l’autre. Je lui tends un verre :
– Eteins, Tintin, le feu qui te dévore !
– Mais mon nom n’est pas Tintin !
– Dorénavant si, dit la Lady qui a chaussé ses sunglasses. Continuez votre démonstration, mon petit Tintin.
Le petit se liquéfie puis, il fut officier de marine, reprend la position, verre plein sur le pli du pantalon.
– D’autres voiliers classiques traversent la mare aux harengs, mais n’est ce pas, Madame, de l’acharnement thérapeutique que de faire traverser de jolies vieilles dames qui ont déjà beaucoup donné.
Enflammé et pensant trouver en moi un allié, il me lance :
– Tu ferais ça à ta grand-mère ?
La Lady pouffe (du verbe pouffer pas faire la…), j’en profite plutôt lâchement pour éclater de rire, l’autre s’effondre.
– Votre nom, capitaine, c’est bien François Loïc ?
– Oui, Madame, skipper honoris causa sur armoires Louis XV et vieilles dames, …
Ce mec veut vraiment faire son malin, ça va péter chez la Lady :
– A qui vous fait penser l’expression « vieilles dames » captain Tinitin ?
La scène vire au délire, le gars a tilté, il tombe à genoux, croise les mains, les tend vers la miss et lance genre esclave :
– Pardon, maitresse !
Lady Taud se lève, sans un regard et descend se préparer pour le diner ; l’autre à genoux gratte le pont immaculé à la recherche d’une poussière derrière laquelle il pourrait se cacher. Je lui tapote l’épaule : keep cool, captain et fais toi discret 2 ou 3 jours, ça va passer !
– Merci Monsieur.
Lorsque nous pénétrâmes dans la grande salle du musée où se déroulait le diner, la plupart des tables étaient bloquées, prises d’assaut par les locaux qui, comme tous les autochtones, se rassurent en ressassant sempiternellement les mêmes mots et maux.
Nous gagnâmes une table isolée et y invitâmes les étrangers, malouins, galiciens, … Les bons mots, de ceux qu’on provoque pour faire bonne impression lorsqu’on se découvre (devant La Dame), fusèrent.
La Lady précieuse qui avait à peine touché au vin – du même tonneau aigre et âpre que celui sans doute avec lequel Joseph d’Arimathie humecta les lèvres de Jésus sur la Croix – évoqua la nouvelle cuisine servie : la timbale de champignons en carton tellement persillée qu’on se demandait pourquoi des champignons alors, ensuite apparut sur un plateau inox argent un bougli bougla de poissons fort odoriférants sans doute « tiré d’une ancienne marée vaseuse au fond d’un port incertain » (sentence pagan),entouré de pommes de terre en chemise réchauffées (sauf les chemises), le miraculeux plateau de fromage « pas de quoi en faire un malgré tout » et cerise sur le gâteau , un Paris Brest qui avait dû faire le trajet plusieurs fois. Nous tentâmes un commentaire auprès du serveur : son regard farouche nous fit faire machine arrière.
Il y avait des t shirts à aller quérir à bord du « Long Chêne Blanc » ***des Sables – au patronyme languedocien ce qui devrait étonner son ingénieur bretonnant de boss), la Lady s’appela Cécile, experte n° 1, et le neveu par la nièce de Winston était à bord ; nous devisâmes sous Grant’s alambiqué. Avant d’aller nous ressourcer au France one où Yvonnick, Aurélik et Manuk nous attendaient.
Fin de soirée, rentrée en vélo, look rochelais top.
Passage à l’Aurore (et ses girls) au Grand Pavois sur le stand Village Bois croisé Nanou, Bernard, Jean Marie, Yann et mangé des pommes. Il y fut question de l’immigration dans le pertuis d’un sardinier fécampois.
Croisé papoté chez mon éditeur Ancre de Marine Bertrand Chéret, le maitre des voiles. Grand griot discoureur auquel j’ai dédicacé mon Dictionnaire Insolite des Mots Marins. Bonheur honneur perso.
Une pensée amicale pour la grande dame qui a préfacé cet ouvrage.
* Saint Ouen – Ouen de Rouen « Ouan de Rouan » – (609 – 686), évêque de Rouen, pote de Saint Eloi, il aide saint Wandrille à fonder l’abbaye de Fontenelle, saint Philibert, celle de Jumièges, et d’autres encore. Connu aussi sous les patronymes d’Oën, Audoenus, Audouin, Audoën, Lohen, Lohan, il fut célèbre outre Manche sous les noms d’Ewen, Even, Oyn et Owen.
** Jean Guiton (1585 – 1654), sieur de Repose-Pucelle, homme politique, armateur et militaire français devenu maire de La Rochelle. Huguenot, il devint l’une des figures du protestantisme en combattant Louis XIII et Richelieu.
*** Rouve = chêne blanc en langue d’Oc, Lon(g) est une interprétation personnelle hâtive. Rouvelon des Sables d’O comme les histoires éponymes.
Photos: diverses sources dont Gaëlle de Trescadec et Alain Milbéo