L’amie Marto, des nus émasculés à la photographie nécrologique
Ce matin, la Lady, levée tôt, après l’avoir grimpé tête vers le ciel, avait décidé de descendre le grand mat tête en bas.
Elle le fit, certes sans sourciller, mais je savais que la prouesse cachait un diphtongue, une interrogation introspective : nous allons y venir.
Contemplons la belle dont la grâce n’a cure des regards libidineux trop minuscules pour l’émouvoir.
From Rhodos ( Ῥόδος) to Spain
Lady Taud a quitté Rhodes pour gagner l’Espagne. Navigation chaotique qui mit à l’épreuve l’équipage entre les coups de vent soudains – pampero, disait-elle – et les calmes blancs que le gas oil manquant – la lady n’en supportait pas l’odeur et le plein n’avait pu être fait – contraignait à gérer au plus fin. La goélette était désormais amarrée à Barcelone où la Lady, prise de ses soudaines passions imprévisibles et chroniques, avait décidé de retrouver sa « grande amie peintre », la dénommée Marto dont, exceptée la miss, nul n’avait jamais entendu parler.
Vêtue d’un ravissant costume matadoresque damasquiné, ravissante de ce sourire brillant qui marquait tant les esprits, tripotant une glène de chanvre sans nul doute ravie d’être tripotée, la mémoire anecdotique lui revenait par petites touches, telles celles que le peintre pointilliste dépose sur sa toile sachant que lorsqu’il aura pris assez de recul, le spectateur découvrira le sujet.
Mon avis personnel de serviteur servile et de confident platonique étant que la sus dite «Marto » lui était soudain devenue une nécessité ; elle aurait pu éventuellement la croiser dans une ruelle de Marly Lee Roy, un dimanche alors que toutes deux, la Marto, Marlychoise madrilène importée, et la Lady tentaient de se soustraire à l’office, jugeant pour l’ibérique qu’il y avait trop de Portugais à prier et, pour la Divine, qu’un verre de blanc servi au bar Seleção das Quinas – tenu par un cousin de Ronaldo, lointain mais cousin : « Cristiano est venu 3 fois dans mon bar » affirmait-il en montrant un poster paraphé par le capitaine de l’équipe portugaise – était incommensurablement préférable au vin de messe « auquel on n’a pas droit ! » ajoutant « qu’elle appréciait particulièrement l’Azal blanc».
J’avais en effet aperçu, lors d’une escale campagnarde dans le fatras et l’amoncellement du grenier de sa demeure poyaudine, un tableau inachevé et signé Marto.
Collée au dos du châssis, une feuille de papier aux caractères tapés par une machine à écrire old style portait ces mots : « l’estatue de la signora au bando », sans nul doute le titre de cette œuvre. Sauf qu’une observation inattentive ne permettait guère de comprendre la relation entre le titre et la légende : signora ya pas, estatue pourquoi pas et bando rapporte au viril plutôt qu’au couvre chef.
Une coupure de presse voisinait où l’on affirmait que la peintre madrilène Marto faisait couler beaucoup de sang lorsque ses menstrues coïncidaient aux périodes de corridas. Elle avait pour habitude, sous ses dehors pudibonds, de n’être pas culottée sous sa robe à volants à l’époque des corridas. Hors, sa chatte, par une transition glandulaire paradoxale s’était muée en ratte (ou rate) musquée. (Sans doute une conséquence de l’invasion de l’Ibérie par les Sarazins ?) Et l’exhalaison du musc enrutait tellement les toros que le grand Manolete, lui-même indisposé, fit interdire Marto dans toutes les arènes d’Espagne.
Elle est vieille désormais, les toros paissent paisiblement dans les champs et les gradins des arènes sont vides d’aficionados.
Revenons à l’artiste supposée.
Dans ce qu’on pourra nommer son œuvre, faute d’autre terme, la représentation crue ci-après exprime une détestation très originale dans sa production globale puisqu’elle est la seule à représenter – je cite – une femme – une jeune femme – habillée bourgeoisement tendance ouverte et parcourant, décontractée le titre en capitale d’une affiche dont l’accroche l’associe au port du monokini, habile association; or, la peintre Marto rechignait à lire car, tout au long de son enfance choyée dans un riche faubourg de la capitale ibérique avant qu’elle monte à Paris chercher un époux, ayant occupé tout son temps aux intermittences de sommeil nocturne et de siestes diurnes dont elle s’éveillait en baillant, elle n’eut jamais le loisir de lire puisque sitôt allongée elle dormait à poings fermés, ce qui interdit de tenir un livre et encore moins d’en tourner les pages.
A l’évidence, la légende, sauf en ayant une canne blanche dans l’œil, ne colle guère avec la volonté première ni au concept originel. Sans doute Marto l’était-elle au point de confondre les phantasmes inquisitionnels et l’effroi du pénis. On sait que le charpentier le plus expérimenté craint toujours les coups de marteaux.
En effet, son sujet favori, l’essentiel de la Marto’s production voire la totalité – hors ce tableau – traduit sa quête circonspecte de l’homme qu’elle représente pubère, nu et émasculé. Embrumé dans un halo d’imprécision pseudo hamiltonien.
La traduction de ses « œuvres » témoigne d’une déviance castratrice dont son père eut à subir les premiers symptômes avant qu’elle n’en applique les effets sur d’autres hommes ; ainsi lorsque son époux, terrorisé, s’échappa dans les bras d’une autre, Marto, folle de rage, après s’être débarrassée de sa rivale, ramena son mari tremblant à la maison sous la menace d’une navaja habituellement destinée à castrer les toros.
Sa carrière picturale semble avoir été courte et, lorsque la Lady, à force de dépêcher ses limiers, la retrouva (prétendit la retrouver), elle œuvrait, avec son époux et ses garçons, dans la photographie nécrologique.
La Lady Taud n’appréciait guère le post mortem qui « est une perte de temps » et ne prit même pas le temps de visiter l’atelier, la galerie nécrologique où étaient exposés des visages aux yeux vides et aux joues creuses, entourés d’objets familiers soustraits aux différent héritiers dont le commerce, confiait Marto, est lucratif à condition qu’on soit sans foi ni loi.
La Lady regagna Barcelone et sa goélette – les pleins de GO avaient été enfin faits – et oublia cette Marto qu’elle classa dans la catégorie « ibérique hystérique »après avoir professé que la production de « cette Marto ne valait pas le clou pour la suspendre »
Elle jeta sur le sol la photo qu’elle avait présentée aux quidams et quidames dans sa quête de Marto ; je la ramassais illico autant pour imaginer ladite Marto que pour lui mettre fin en la jetant feuille mort brillante tourbillonnante jusqu’ aux eaux grasses du port à l’endroit même où se déversaient les collecteurs d’excréments des habitants de la capitale catalane.