Après un long voyage, le jour où Lady Taud rentre à la maison.
La lady rentrait épuisée. Le voyage à Québec s’était transformé en expédition à Bornéo puis au pied du Kilimandjaro et pour le présent, elle reprenait son souffle avant d’en analyser, synthétiser et optimiser les péripéties.
Elle songeait à pondre un livre dans la lignée des Karen Blixen, Alexandra David-Neel, Ella Maillart en ajoutant un soupçon de Calamity Jane. Le fait de penser à ordonner ses souvenirs la fatiguait encore plus.
– Toujours cette envie d’oeuvrer qui me taraude, lançait-elle, elle qui n’avait jamais rien fait de plus que de se préoccuper d’elle.
En faisant le tour du domaine, je constatais que le courant de la piscine ne produisait plus les mêmes langueurs sonores Jimi Hendrixiennes et reflétaient plutôt, le chien de Mickey, les staccatos techniques du picking de Chet Atkins, Merle Travis, Jerry Reed, Doc Watson et Marcel Dadi (qui tomba dans le picking avec « la fille du nord » adaptée de Bob Dylan par Hugues Aufray.
La piscine aussi est guitare bleue sans blues où le soleil s’amuse à produire des effets stroboscopiques plutôt que de la musique.
– A-t-on jamais entendu le soleil musiquer hormis le craquement des matériaux surchauffés attaqués par la fraicheur nocturne (je faisais référence aux pierres du désert fracturées et transformées en sable, phénomène que j’avais vécu en bordure du Tibesti) ? La pluie est nettement plus symphonique. Un simple siphon aussi, sifflotais-je. Il est vrai que nos circonvolutions hasardeuses avaient mobilisé toutes nos facultés. Comme le marin solitaire qui respire pour lui autant que pour son bateau car l’un sans l’autre n’est que rides fugaces sur l’eau. Un trou inutile sans souvenir de naufrage.
A propos de naufrage, je me dirigeais vers le lounge et son bar d’anthologie à faire pâlir d’envie le raffiné alcoolisé autant que l’amateur de cosy.
– Nul besoin de bristol* puisque j’y suis ! Salivais-je tandis que Maxime souriait d’avance aux exceptions encavées qu’il allait proposer.
Le naufrage sans empreinte me taraudait et m’amenait à l’épave, sa version terrestre remarquable.
Tous les navires sont-ils de potentielles épaves ? Une épave pourrissant sur une grève l’est-elle autant que celle gisant sur les grands fonds ? À partir de quel degré de dégradation peut-on officiellement bénéficier de l’appellation d’épave ? Faut-il être reconnu coulable pour l’être ? Peut-on avoir été épave et s’en remettre ?
Le badaud s’épanche sur l’épave en grève comme un pied de nez aux tombes bien alignées des cimetières. Noblesse posthume et dégradation naturelle, le rêve de l’homme de chair putride contemplant le bateau de chêne imputrescible.
L’épave qui a baigné dans l’eau s’oppose à son homonyme humain qui la craint par-dessus tout. T’es paf l’épave, t’as un coup dans le pif ?
La façon est commune, chair palpitante et bois de charpente confondus : sabordage, naufrage ou erreur de navigation comme le gars qui se dirige en titubant vers le bar du Sahel.
En termes de performance et avant la prestation du Costa Concordia (290 mètres de long), la palme allait au Britannic, miné ou torpillé par les Allemands en 1916, plus grand que son jumeau Titanic, coulé par un iceberg sans pavillon.
– Ce ne sont donc pas quelques vernis usés par les navigations et une coque marquée par une saison de régates qui justifieraient de l’appellation d’épave ; toutefois, l’extraordinaire diversité de notre langue permet de superlativiser exagérément le substantif au point de le transformer en arme contondante. Alors qu’un bateau dans un contexte de plaisance pourrait se contenter d’amour et d’eau fraiche. Soliloquais-je, en fermant les yeux à la découverte des sources du cocktail déposé sur la table basse.
Ce qui m’amena à réfléchir à une extension de cet art de vivre prôné par le gars à lunettes assis devant l’écran et en arrivait à :
« L’esprit corinthien vaut mieux que deux tu l’auras » et …
« Mieux vaut tenir un raisin de Corinthe que courir avec un sac de coloquintes ».
Naze, non ? Vais faire des prières pour dormir vite avant que mon cerveau diphtongue sur la plage.
Plaque du RPCYC, un cadeau d’Anne
* allusion directe au bar de l’hôtel Bristol et à son Chef Barman, Maxime Hoerth