Dans la chaleur des tempêtes d’hiver.
Coups de vent enchainés à 50 nœuds décibels sur mer et sur terre assortis de belles rencontres au Nautic où l’on cause embruns sur la moquette du salon.
Dans mon jardin, j’ai arrimé les plantes bousculées échevelées couchées par les grands vents violemment venturi des villes.
La plante en jardin clos méconnait autant son bonheur d’alcôve enclose protectrice que l’habitant d’une maison abritée des vents cardinaux par tradition coutumière, frileusement enfouie au creux d’un vallon méprisé par l’ouragan qui ne sait par où infiltrer sa brutalité.
Beau temps pour le pilleur d’épaves, le naufrageur et ma cousine en dernier passage.
Justement me disait Lady Taud lors d’une conversation animée par les effluves liquides du vin chaud vanillé dégusté à l’envi au creux du carré cosy de son yacht surréalistiquement suranné.
– Qu’imaginez-vous, cher, que je puisse penser de ces vibrillants hominiscules ministrions affairistes qui se figent le faciès sérieux pour toujours mieux détruire les plus beaux idéaux de l’homme ?
– J’en pense vraisemblablement comme vous. Parce que je suis votre hôte, que je tente d’être bien élevé et que, le fait de partager ces breuvages hivernaux avec vous indique que j’apprécie votre compagnie et vos points de vue.
– Au fait, flagorneur, au fait, répond-elle en plissant les yeux.
– Je n’en pense rien, chère Lady. Je rapproche le comportement ordinaire de ces personnes à celui des pilleurs d’épaves que connurent nos côtes cornouaillaises. Individus mangés par la faim qui brûlaient le bois d’épave, s’habillaient des hardes salées des noyés et se sustentaient de ce que les vagues déposaient, liquide et semi-liquide. Etat de mets mous qui, compte tenu de leur dentition chicotière devait les satisfaire.
– J’entends le rapprochement. Nos donneurs de leçons élus et courtisans d’élus se servent à pleines mains dans les richesses du navire France. Vos pauvres hères littoraux avaient le gendarme et le gabelou à craindre, nos beaux messieurs les associent à leurs pillages.
– Merci Lady d’avoir adapté mes propos aux vôtres.
– Le fond de votre pensée, allez-vous l’exprimer ?
– Piller une épave est une conséquence, celle d’un naufrage. On ne peut taxer le pilleur d’épave de nécrophagie. Il prend à ses risques et périls ce que la mer rejette. Il ne vole que les mouettes.
– Ok, ok. La suite ?
– Elle n’est pas à la gloire du genre humain dès lors qu’il se targue d’un pouvoir. Nous avons entrevu le pilleur d’épaves qui guette le navire désemparé par la tempête afin de survivre. Et son village avec lui. Juste à côté de lui se dresse le naufrageur qui provoque la catastrophe. On a parlé de feux côtiers, de fanaux aux cornes de vaches, d’éclats de lumière, tout cela à existé – l’homme est si créatif – et sans doute beaucoup tué. Autant que nos naufrageurs actuels qui, autant par couardise que par cupidité, provoquent des séismes dont ils ne maitrisent qu’approximativement le Verbe.
– Des noms, amigo ? relance la perfide nantie.
– Non, pas de noms. Juste un sujet de réflexion pour les peuples qui le souhaitent et qui le peuvent.
– Mais le bateau en perdition, n’a-t-il pas une âme ?
– Que si, Madame. Celle de ses membrures de bois ou de fer qui furent partie de sol terrestre. Mais aussi celles de ses passagers, marchands uniquement préoccupés de sauver leur cargaison, marins dévoués corps et âmes à leur canote, individus ordinaires en quête de sauvetage égocentrique.
– Trop de vin chaud. Je m’interroge quant à mon penchant dans cette alternative. Beaucoup trop de vin chaud, je me livre, soliloque l’altière Lady. Les vues du large m’échappent au point de n’être plus que mon point de vue, observatoire sans horizons & lunette grossissante à œillères, …
Elle nous ressert un verre rempli ras bord. Le vin chaud est devenu tiède.
Lady Taud a repris ses largesses, se redresse, tend l’oreille et annonce d’une voix entre ferme et sourde – conserver l’assurance du verbe lorsque le vin ramollit les cordes vocales :
– Cher ami, il va nous falloir reprendre les amarres, le vent monte.
Dehors, les lampadaires du port vacillaient et les éclairages tressautaient, inutiles.
La Lady, en bon marin, avait échangé son élégante capeline en paille de riz par une casquette de loup de mer retenue par une jugulaire de cuir bleu.
– Reprenons les gardes le temps de la marée haute, nous établirons une veille pour les adapter au jusant.
Je savais déjà que j’allais veiller sur le bateau et sur son sommeil.
Ce qui allait me permettre d’épiloguer sur les naufrageurs modernes.
– Je connais vos pensées, lance-t-elle en tournant la manivelle de cabestan, ok pour que vous épiloguiez. Quoique je sois convaincue que l’unique manière d’épilogue est funeste.
C’est à cet instant que, depuis le quai, ma cousine m’a salué avant de disparaitre, abandonnant son ombre à la tourmente du monde.