Hommage inutile à la bouée de régate anonyme
Bon ok, elle fut mouillée là par le comité de course pour des motifs extrêmement pertinents visant à construire un parcours équilibré afin que la régate soit belle et que les régatiers soient enchantés au point de ne pas contester*.
Arrivées par le même bateau et ancrées séparées, les cousines en bouétitude font mine d’être uniques ; celle du bord d’empannage snobe celle du virement de bord.
– Tu comprends, l’empannage et le virement, c’est l’harmonie vélique vs l’hystérie physique.
Leur point commun est d’adorer se faire enrouler à limite toucher par les carènes avides de les franchir. Face au bateau comité, la bouée de ligne se la pète et fait sa précieuse immobile : la correction de sa position est essentielle à un départ correct. Elle observera les étraves pourfendeuses de virtuelle erreur spatio-temporelle. Elle éprouvera un léger faible pour le yacht venu la frôler pour un départ stratégique sous le vent de la flotte. Tu sais toi !
Elles sont interchangeables et n’ont aucune influence sur leurs positionnements. Elles sont des marques de parcours et non des images de marque (celle-là je l’aime bien, se gourmande-t-il)
On a déposé chacune d’elle dans l’eau en surplomb de l’orin qui lui-même s’accroche au grappin agrippé aux algues et aux crustacés : elles fixent les limites du terrain de jeu.
Citons les citations :
Une bouée sans orin est comme le palais de Valaskjálf sans Odin** et un jeu marin sans règles n’a que les rivages pour limites. Ancre qui chasse fait naufrage comme bouse qui sèche en pâturage***
A bord des canotes en chasse de podium, les équipages n’ont d’yeux que pour elle et la hèle : bbbooouuuuééééeeee ! Tu l’as vue, tu la vois, tu la sens, tu la fais ? Serinent-ils au barreur.
Les muscles tétanisés commandent des gestes mécaniques, les cerveaux obsédés dansent au rythme de la houle, uniquement préoccupés par cette marque qui flotte, ridicule sphère perdue sur l’aire liquide. Cris et grincements, ils la passent, elle est passée, pas un regard en arrière. Oubliée. Là-bas devant, la cousine frétille : laissez venir à bouée les petits bateaux. Parfois, poussés dans leurs retranchements ou trop audacieux, ils la touchent ! Touché coulé ou presque. Drapeau rouge, contestation et relégation.
– Je n’apprécie pas ces contacts et les propos violents, les injures et les jurons échangés. Une bouée de yacht club à de l’usage et son quant à soi.
– Certains aussi, trop pressés ou dépalés par le courant m’emportent avec eux. Je voyage à moitié noyée et étranglée sous la coque. Une fois libérée, aucun moyen de reprendre ma position. J’ai passé une fois la nuit dans la baie.
Et puis il y a bouées publicitaires, la lie de la mer, qui se vendent au plus payant. Celle-ci est-elle marémotrice? Et celles fixées pour l’éternité, les cardinales et les latérales.
– Tiens, le bateau comité vient me chercher ! Pourvu qu’il ne me dégonfle pas!
*d’après Maurice Laichbot
** Il y a une contrepèterie mais je ne l’ai pas trouvée !
*** dixit Oncle Jérôme le soir du mariage de Cousine Ernestine