Le réveillon aux Minquiers de Lady Taud, débriefing n° 3, le retour après baston.
Partis de Paimpol avec Benoit et Gilles, deux pratiques locaux spécialistes en cailloux et crustacés, la route fut rapide vers le plateau des Minquiers. Vent d’Ouest oblige.
Et là, à Saint Malo, nous rentrions tout juste de Maitresse Ile.
Pas facile facile.
Mais nous y avions passé ce fichu réveillon annoncé depuis 2 ans.
Pour résumer, ça a été réveillon totalement printanier avant retour de baston dès le premier jour de l’année. Du baston bien lourd, suraigu ciguë dans les rafales, lourds chocs sourds contre les roches béliers, écumes horizontales à décollage frontal, coups de gite en rappels violents, … fatiguant retour de champagne, les bulles remontent par le nez !
A ce propos, de bulles, j’avais raconté ce réveillon du jour de l’an au mouillage de Ladder bay à Saba, cette ile que nous affectionnons. Nous venions y vivre notre second passage d’une année à l’autre, au mouillage un peu rouleur mais total tranquille. Peu de bateaux y ancrent et comme nous nous étions fait « piéger » la première fois avec un Oceanis 60, nous étions revenus en catamaran (finauds les matelots !), un grand petit Maldives où tu vis à 8 sans te marcher sur les pieds.
Bref, nous avions largement entamés les rhums préparatoires améliorés de tout ce qui leur va si bien sous les tropiques caribéens*, lorsqu’un petit paquebot US ancra en peu au large. Joli yacht à moteur classique évalué à environ 40 mètres de long. Pas loin : 37 mètres en fait. Atlantide 1930 d’Alfred Mylne.
La nuit antillaise fait signe avant de tomber. Grignotages pré-happy new year, traduire que le four fonctionne à l’acra et aux boudins arrosés. Tout le monde dans le cockpit à guetter les étoiles et écouter le ressac aux bas des marches du long escalier qui vit transiter marins, prêtres, dames, vaches, moutons, pianos et en renversa vraisemblablement un bon nombre dans les rouleaux.
23.30, ça s’affaire sur le yacht voisin. Deux gyrophares clignotent et 5 personnes descendent à bord d’une annexe. Ils se dirigent vers le fond de la baie, à 300 mètres de nous, là où sont mouillées des bouées de plongée – Saba est surtout visitée par des plongeurs, le banc éponyme situé au SO est connu depuis longtemps – s’amarrent et plouf,plongent.
– Tu crois qu’ils vont célébrer le nouvel an au fond ?
– Allons voir.
Masques et tubas et plouf, plouf, plouf, plongeons dans l’eau noire, quelques brasses vers l’annexe vide. Lumières au fond, 3 ou 4 mètres dessous. Nous descendons pour trouver cinq Américains équipés combis, bouteilles, narguilés et champagne. Fraternité franco américaine, La Fayette le retour, pas Omaha ni Utah beach mais … échanges champagne vs narguilé accrochés au fond. Le champagne se boit goulot vers le haut et plutôt salé. Accolades et bisous au fond. Remontée en suffocation, où est la surface ?
Au matin, le joli yacht à moteur avait quitté la baie. Et un troupeau de bisons au galop avait envahi le crane des plongeurs français.
La Lady attentive me tendit une flute :
– Un doigt de champagne amigo ?
La journée et la nuit ancrés sous Maitresse Ile furent réellement idylliques. Polaires sur le dos certes mais diner sur le pont, le vent perturbait tout juste la flamme des photophores. Diner princier.
Le temps attendit poliment midi pour s’agacer.
– Il s’est peut-être retenu mais maintenant il se lâche ! dit le capitaine skipper.
Encore 3 heures avant la marée haute de 108 qui nous permettait de sortir. Trois heures longues, il fallut affourcher pour résister au vent du nord ; l’ile nous abritait des trains de vagues. Mais la situation était loin d’être agréable avec si peu d’eau sous la quille.
Le flux faisait disparaitre les rochers briseurs de vagues qui éclataient sur la proue. Moteurs embrayés, la grand-voile arisée fut envoyée et la deuxième ancre remontée à bord avec l’aide de la grosse annexe. Le vent commençait à hurler. 35 nœuds déjà.
– Lady, il va être temps d’y aller, dit le capitaine. On avance doucement sur la chaine, dès l’ancre levée, on envoie le petit foc pour aider à virer. Ensuite, c’est tout doux. L’annexe reste à proximité, prête à pousser la coque.
L’ancre à peine levée presque sous Maitresse Ile, le foc hissé puis bordé à contre, la proue de la grande goélette commença à virer, retenue aux moteurs.
– On affale la grand-voile !
Les gars étaient au taquet, elle fut affalée, saisie, rabantée avant la passe de sortie. L’annexe poussait la poupe qui tombait sous le vent.
– On traverse le plateau sous foc et moteur. Annexe à suivre avec son équipage à bord.
Dans le talkie, il leur lance :
– C’est bon pour vous les gars ?
– Parfait, patron.
La sortie se déroula sans encombre, le plateau protégeant de la mer.
Enfin dégagés des roches, l’annexe fut hissée.
Le vent se faisait de pointes à 50 nœuds. L’équipage amarra tout ce qui devait l’être.
– Je suggère de nous rendre à Saint Malo, Lady. Nous y serons pour écluser au bassin Vauban.
– Cela me parait plus raisonnable, capitaine. La couverture météo est franchement percée. Voiles d’avant ?
Les gars avaient entendu et hissaient déjà trinquette et voile d’étai. La goélette descendait à 10 nœuds en rappelant parfois sèchement. Plusieurs lames vinrent soulever la poupe avant d’y exploser.
Les matelots, regroupés contre le grand mat, discutaient des mérites comparés des fichiers météo. Aucun n’avait annoncé cette aggravation !
La Lady descendit se préparer et informer de son arrivée des amis locaux.
Dehors, les rafales pointaient à 60 nœuds, vent toujours quasi Nord.
– Dès que nous serons à l’abri derrière le terminal, on remet l’annexe à l’eau.
Trois heures plus tard, la grande goélette était amarrée au quai d’honneur.
* En 1701, l’inventeur du rhum, le Père Labat visita Saba.