Réveillon aux Minquiers de Lady Taud, débriefing n°3
Mi-octobre déjà, les immédiats sillages de printemps puis d’été ont depuis longtemps disparu de la surface, oubliés des vagues, perdus dans les mémoires et présents aux cicatrices de la quille de la goélette comme autant de bulles d’une bande dessinée née avant l’expression picturale (des jours je me méfie de moi-même et crains mes doigts qui tapotent sur le clavier).
Or donc, la goélette, toujours amarrée à Paimpol, s’était vue octroyer une place aussi tranquille que valorisante. Saba s’y trouve, hello ! Jean Louis, le capitaine du port, a fait un peu de ménage dans l’ancienne forme de radoub « qui n’avait jamais été terminée » puisque le bateau-porte de fermeture n’a pas été construit au prétexte que les bajoyers fuyaient : porosité, jointoiements, … il en demeure une jolie forme dédiée aux goélettes paimpolaises du temps où elles emportaient en pêche des gars qui n’avaient pas froid aux yeux en regard des avancées et des reculées en faveur et défaveur des conditionnés du travail. Légère auloffée sur Jaurès le pacifiste républicain, pourfendeur de la concentration capitaliste, anti-guerre de 14, assassiné par le déséquilibré de service qui fut acquitté tandis que Madame veuve de Jaurès fut, elle, condamnée au paiement des frais du procès. La société s’apitoie sur la chemise arrachée de l’un et condamne les spoliés pour ne pas avoir à partager leur avenir. Changing the world.
§1 – Mékong & MinquiersElle et son baby nous accompagnaient à bord du long tail qui descendait le Mékong pied dedans à 15 nds estimés (courant + moteur), slalomant entre les rochers, moteur 6 cylindres à échappement libre commandé par un câble de vélo. Equilibre en bascule le gros moteur. La jeune Maman laotienne, toute petite au fond de la pirogue, descendait à Luang Prabang faire soigner son nourrisson enfoui dans une couverture. Elle nous offrait des cacahouètes bouillies. Deux jours plus tard, changement de véhicule pour un tuk-tuk ตุ๊กตุ๊ก qui perdait ses boulons mais bon cool lao. Embarqué cette fois-ci un Lao sans trop d’âge, ridé tout sec, souriant, l’air très européen (souvenir français ?) qui rentrait sans doute d’aller chercher sa médecine opiacée dans les montagnes . Il souriait sans sourire, son visage émacié souriait. Il nous a quittés en trottinant. Nous avons gagné Ban Na Duey l’ex-hôtel de la Princesse, désormais Villa Santi. Premier bateau, les routes d’eau mènent aux hommes.
§ 2 – Tri Beur dîne portFranchie l’écluse, un joli yacht en bois pénétrait dans le bassin. Coque bâbord enfoncée, estafilée longuement et profondément, l’acajou à vif tranchait sur la coque blanche.
Nous enquérant de la cause de la blessure – à laquelle s’ajoutaient chaumards et pavois arrachés- le patron et l’équipage furent unanimes à évoquer la bourrique d’huitre de Tri Beur Ding : Brigitte Beur Nabeul, autochtone d’un port du nord sis en côte très gore. Aucune ressemblance avec une personne existante mais la fiction s’appuie sur le réel ma belle. Chère Madame sans grâce et si coûteuse.
Ils évoquèrent les paroles supposées d’une cheffe gardienne de parking portuaire : My job is to entretenir ze catways, je ne supporte pas l’eau, surtout salée, saleté, ni les bateaux, surtout les en-bois, trop de passion ça mine l’administration. Alors je démolis en catimini, fais feu de tous bois et frappe sans discussion possible. Seuil pour seuil, vent pour vent, je pratique ici la loi du Lannion. Winch Allah, sonne l’hallali !
§ 3 – Allégorie des bâbordais en surnombre.
La répartition de l’équipage avait été réalisée à la vite par le jeune midship. La camaraderie bâbordaise avait joué à fond et les gars avaient regroupés leurs châlits et hamacs en surnombre à main gauche. Au port déjà, le caboteur donnait de la bande organisée bâbord. En mer aussi. Sur bâbord amures, le lest prime. Sauf que, faute de pouvoir échapper aux coulis venteux, les espars pètent et les ridoirs dérident. Les bâbordais en surnombre n’intervenaient qu’un jour sur deux tandis que les tribordais travaillaient deux fois le jour. Le capitaine, brave garçon, tirlipotait sa barbe en évaluant la suite car il y avait des jours et des jours de mer à courir devant. Un soir, l’excèdent bâbordais entonna puis beugla l’Internationale. Avant de refuser de monter serrer les huniers dans le vent grossissant. Le patron convoqua leur chef qui s’avança en le toisant narquois.
– Dis donc L’enarc’h, c’est quoi ce travail ?
Le goguenard, jambes écartées et bras croisés, toisait le captain. Erreur de barre, on ne sait mais la longue bôme en empannant, envoya L’enarch mort par-dessus bord. Les hommes tribord et de bâbord s’associèrent spontanément pour remettre le navire sur sa route.
– L’enarc’h que Dieu t’assiste dans tes conneries irresponsables. Ce furent exactement les paroles du patron en guise d’adieu au cadavre qui quelque part dans le noir de l’eau se faisait bouffoter par la poiscaille nettoyeuse. Les gars acquiesçaient leur erreur d’emballement. Et la parité tribord bâbord reprit son équilibre pour le meilleur du pire. L’enarc’h ne laissait pas d’enfants reconnus, des forfaits innombrables, des lâchetés répétées et juste quelques compères éparpillés de son école nationale d’appropriation. Mais peut-être existe-t-il des âmes soeurs enclines à sauver l’enarchie?
§ 4 – Esprit de Velox en soirée d’automne à bord Réunion dans le grand salon où le bois d’épave crépite dans la cheminée. Autour de la Lady, ça discute tranquille, d’autant plus tranquille que les Minquiers seront pour le prochain réveillon. Du reste, le futur équipage hétéroclite de savoirs de cailloux participait à la soirée.
– Tout le temps de finaliser les travaux courants sur la goélette et ensuite, la distance est courte.
On en vint à évoquer le Hollandais Volant, légende ancrée dans les mémoires maritimes. Devenu une sorte de canote furtif visible invisible.
– Les recherches d’invisibilité des avions et des bâtiments de guerre sont issues de cette légende !
– La démonstration que l’on n’invente rien, on adapte au gout du temps.
La Lady appréciait que ces discussions se déroulent à son bord. Mais elle appréciait nettement moins n’en être que spectatrice :
– La semaine dernière, j’ai participé à une captivante conférence aux Arts & Métiers, …
L’équipage qui la connait bien, se tourne vers elle, en attente de la suite.
– … un superbe projet de navire écologique laboratoire. Nom du projet : Esprit de Velox.
– Mon grand-père a participé à la construction du Velox chez Normand au Havre, au siècle d’avant le précédent. Une goélette très en avance sur son temps. Techniquement et sans doute technologiquement déjà ! dit Maurice, ex Royale.
– Merci répondit la Lady, merci Maurice. En effet. Le catalyseur de projet est François Frey que Philippe (elle me désigne des yeux) a connu « tout jeune » (tu parles !) lorsqu’il lançait les bases du Yacht Club Classique. Il y a beaucoup de chances pour qu’on le croise bientôt, le trimaran est reconnaissable.
§ 5 – Alegoría de horno bretónLe Prince que l’on disait charmant – charming Prince – mais qui avait des doutes sur son fameux charme, non par paranoïa rampante larvée, mais par résistance méfiante à la flagornerie et parce que, lui-même, se considérait comme timide, réservé et plutôt inutile sur la planète. Du moins de façon aussi ponctuelle qu’imprévisible. Et puis comment veux-tu qu’un berger retrouve ses troupeaux dans un pré invisible ?
Il s’abrita derrière une fausse barbe postiche blondasse, chaussa des lunettes aussi sombres que son mental, enfila un paréo santiags avec gilet sans pare balles et s’enquit d’interroger le monde sur lui-même:
– Pirton, i fé plein de trucs !
– Quel genre de trucs ?
– Bin, di trucs qu’il fé et qu’aucune bête du monde elle peut imaginer faire, voui voui !
Alors, il s’assit sur la terrasse d’une petite maison face au Four, joua quelques notes de blues « la musique j’aime, elle vient de toi, elle vient d’ta blouse ! » sur sa guitare mini, partagea du rhum (Neisson) avec son hôtesse Mi et la n°1 du bord, parla à l’oreille des chevaux, contempla la mer et les bateaux, dîna dans un resto qui fut assurément repaire à matelots et se dit qu’il n’était pas nécessaire d’en consommer pour profiter du « h » de parenthèse. Synthèse de l’instant oublié lorsque le temps est hors de lui. Embarque la bonne Sainte Aise qui est chez toi comme chez elle avec la conscience qu’embarquer est une para synthèse (Jesse Plic : ni barquer, ni embarque n’existent, c’est para synthèse. Utile, non ?)
Sentence Pagan dont les rivages sont proches du susdit Four: Si chien d’orage a la rage, coup de pied au cul dégage !
Remise du Trophée Mylne à François Frey of Sinbad